Les migrants victimes de violences à la frontière Maroc – Espagne 

Article rédigé suite à mon interview avec Hind en Belgique.

Hind s’est vu retirer son voile contre son gré par des passeurs clandestins. Sa mère, elle, a été violemment frappée et poussée au sol par les autorités marocaines à la frontière de Melilla, séparant le Maroc et l’Espagne. Ces événements brutaux et traumatisants qu’ont connus Hind et sa mère sont malheureusement une réalité. Chaque année, des milliers de migrants traversent les frontières hispano-marocaines dans le but de rejoindre l’Europe.

Traversée difficile et scène d’horreur à la frontière

Hind est une jeune femme âgée de 22 ans (au moment du témoignage) née en 2001 aux Émirats arabes unis. Elle y a grandi avec ses parents d’origine palestinienne, ses deux petites sœurs et son petit frère qui ont aujourd’hui 19, 14 et 18 ans.

Le 10 septembre 2018, alors âgée de 16 ans, Hind et sa famille (mère, fratrie, tante, cousins et grand-père) quittent les Émirats arabes unis. Ils espèrent connaitre une meilleure vie en Europe, étant donné qu’ils ont toujours été discriminés à cause de leur origine étrangère. « Le gouvernement a refusé de nous donner la nationalité », me dit-elle. En effet, d’après les dires de la jeune adulte, la plupart des Émiriens excluent socialement les immigrés dans leur territoire.

Ce même jour, la famille prend l’avion et atterrit dans un pays qui n’allait pas leur demander de grandes dépenses, au vu de leur manque d’argent pour rejoindre directement l’Europe.

Le pays en question est le Maroc. Situé en Afrique du Nord, il est connu pour être l’un des points de passage les plus empruntés par les migrants subsahariens tentant de rejoindre l’Union européenne. En 2023, ce sont 87 000 migrants en transit qui ont été interceptés par les autorités marocaines, selon le site d’information InfoMigrants.

À peine arrivée sur le sol marocain, la famille obtient un visa qui lui permet d’y rester près d’un mois. Pendant ces longues semaines, elle loge dans un petit hôtel pour migrants. « Il y avait des migrants partout, j’étais dans une petite chambre avec ma mère, mes sœurs, mon frère et mon grand-père. De même qu’il y avait ma tante et ses enfants. Ils nous ont rejoints, car eux aussi voulaient changer de vie. Nous étions tout le temps serrés, c’était difficile et invivable », me confie Hind.

Le Maroc partage des frontières distinctes avec les enclaves Ceuta et Melilla, considérées également comme des villes autonomes espagnoles. Elles sont localisées au nord-ouest du continent africain. En parallèle, Melilla sert d’avant-poste pour l’Espagne, et celui-ci est entouré de quatre clôtures avec des barbelés et d’une profonde tranchée. Une des barrières faisant office de frontière terrestre avec la zone espagnole mesure 9,6 kilomètres de long et 6 mètres de hauteur, ce qui peut rendre son franchissement laborieux.

Ce sont les autorités marocaines qui sont chargées de la surveiller. Plusieurs fois dans la journée, un grand nombre de migrants tentent de la traverser pour avoir une chance de demander l’asile sur le territoire européen. Pourtant, c’est l’une des plus dangereuses et meurtrières d’Afrique. En 2022, des experts de l’ONU estiment qu’au moins 37 personnes sont mortes en essayant d’escalader les clôtures grillagées, comme le mentionne l’article du média Human Rights Watch.

Illustration détaillée des enclaves espagnoles et de la frontière de Melilla. © TV5 Monde / AFP (2014).

Hind faisait partie de ces migrants clandestins qui ont tenté de multiples fois de passer la frontière de Melilla : « La police marocaine était de tous les côtés, il y avait de grands grillages et énormément de migrants agités qui se bousculaient. Ils étaient comme entassés parfois. »

Elle a été témoin d’horribles scènes : « Les migrants se font pousser et frapper avec des matraques et des bâtons, il y avait du sang partout sur le sol. » Sa mère a aussi été victime du terrible traitement des membres de cette police : « Ils ont poussé ma mère tellement fort qu’elle est tombée parterre avec ses affaires, elles se sont toutes retrouvées éparpillées. »

Lors de leur dernière tentative de passage le 9 octobre 2018, son grand-père a rencontré des passeurs clandestins et les a payés pour qu’ils les aident à passer. « Ils nous prenaient par 3 dans la famille à chaque fois dans une voiture, puis ils nous déposaient au poste-frontière de Beni Ansar à l’abri des autorités. Il manquait juste quelques mètres à franchir pour rentrer à Melilla », raconte la jeune femme.

Illustration détaillée des postes-frontières dont Beni Ansar entourant Melilla. © OpenStreetMap / Elsa Tyszler et Thomas Honoré / Guardia Civil de Melilla (2015).

Hind n’a pas été violentée physiquement par la police marocaine, mais elle a dû retirer son voile de force pour passer : « Les passeurs m’ont donné la carte d’identité volée d’une femme espagnole inconnue et elle ne portait pas de voile sur la photo. Alors, ils m’ont obligé à enlever le mien pour lui ressembler au maximum, sinon ils n’allaient pas me laisser passer. »

Beaucoup de migrants clandestins payent illégalement des passeurs pour se retrouver du côté espagnol. Pour eux, c’est leur unique chance de quitter le territoire marocain en échappant à la police. Hind affirme que : « La police t’interdisait l’entrée si tu n’avais pas de papiers, ils ne te laissaient pas d’occasion. Et si tu ne passais pas, ils te renvoyaient d’où tu venais. » Il est très fréquent pour les autorités concernées de renvoyer directement les migrants vers leur point et/ou pays d’origine. Ces push-backs (action de renvoyer un migrant sans lui donner l’opportunité de demander l’asile de l’autre côté de la frontière) sont illégaux, la situation du migrant n’est d’ailleurs pas prise en compte malgré une possible mise en danger de sa vie.

Après avoir réussi à atteindre Melilla, Hind et sa famille obtiennent l’asile et peuvent alors rester légalement dans la ville espagnole. Ils vivent pendant un mois dans un centre insalubre pour migrants. « L’endroit était sale, il n’y avait pas d’hygiène. Je devais partager les toilettes avec des hommes, car elles étaient mixtes. La nourriture de la cantine était dégoutante, et on n’avait plus d’argent pour acheter autre chose », dit-elle avec dégoût.

Ne supportant pas cette vie, la famille quitte Melilla en embarquant sur un bateau pour Málaga. Elle a ensuite été accueillie trois jours à Madrid et a hésité à s’y installer définitivement. Mais cela ne s’est pas réalisé, parce que le gouvernement espagnol leur a donné que six mois pour s’adapter et s’intégrer en trouvant un logement, en apprenant la langue et en ayant un emploi. Une durée beaucoup trop courte. Par conséquent, les membres de la famille abandonnent l’Espagne pour la Belgique en voyageant en FlixBus (compagnie d’autocars à bas prix), car ils ont de la famille éloignée à Anvers, prête à les recevoir.

Aujourd’hui, malgré les traumatismes du passé, Hind est une jeune étudiante en Belgique où elle habite avec sa famille. Ils seront loin d’oublier ce qu’ils ont traversé et seront marqués à vie. « Certains migrants ont réussi à entrer en Europe avec des bras et des jambes cassés par la police aux frontières du Maroc », conclut-elle.

Regard sur les conditions des migrants en France et en Europe

Les problématiques liées aux migrations irrégulières touchent autant les pays occidentaux que les pays en développement, en particulier ceux d’Afrique. Ainsi, de nombreuses décisions politiques, comme les accords entre États et les lois, tentent de réguler ces situations causant des polémiques et, malheureusement des drames.

Vincent Latour est enseignant-chercheur à l’Université Jean-Jaurès de Toulouse. Il a travaillé sur les politiques de migration et d’immigration en France, au Royaume-Uni, et en Europe plus largement. Son expertise et ses différents travaux permettent de mieux comprendre le regard de certains pays européens sur le contexte migratoire.

Selon lui, l’Union européenne tient une approche beaucoup plus restrictive concernant les migrants qu’il y a quelques décennies. Par exemple, à partir de 1980, la France a commencé à fortement légiférer sur ce domaine. « Le sujet est devenu hautement politique », déclare-il. La loi immigration en France en est une illustration. Elle a pour objectif de renforcer les contrôles des travailleurs sans papiers occupant les métiers en tension, d’expulser les étrangers réguliers du territoire en cas de suspicion d’atteinte à l’ordre public, de les faire signer un contrat de respect des principes républicains et plus encore. Toutes ces mesures reflètent éminemment le durcissement des lois sur la matière.

Néanmoins, cela n’a pas toujours été le cas. Entre 1945 et 1970 (pendant « Les Trente Glorieuses »), les pays européens dont la France connaissaient une immigration massive pour servir leurs intérêts économiques. « On employait le terme de « travailleurs migrants » et on les laissait venir, sans anticiper qu’ils s’installeraient sur le long terme et les regroupements familiaux. Maintenant, les gouvernements voient cela comme un problème », explique l’enseignant-chercheur.

C’est pourquoi, de nombreux pays comme l’Espagne et le Maroc établissent des accords communs pour contrôler les frontières, notamment avec l’aide de l’Union européenne. Les autorités espagnoles font alors appel aux forces de sécurité marocaines afin qu’elles évacuent les personnes vers leur territoire. Celles-ci sont parfois violentées comme le montre le témoignage de Hind. À la fin, les autorités espagnoles se dédouanent de toute responsabilité, et c’est à ce moment-là qu’il y a une véritable problématique.

Dans son article « Grande-Bretagne : une attractivité paradoxale » coécrit avec Catherine Puzzo et publié en 2016, Vincent Latour examine les raisons pour lesquelles la Grande-Bretagne continue d’attirer un grand nombre de migrants malgré son insularité. Parmi elles, l’offre d’emplois considérable et l’accompagnement de certaines organisations comme les associations, qui se veut primordial.

C’est ce qu’illustre le rôle de Simon. Il est étudiant en dernière année de Master Histoire & Civilisations à Toulouse (au moment du témoignage) et (ancien) bénévole dans l’association Utopia 56, qui aide les étrangers en situation irrégulière et les réfugiés. Tous les mardis, il prend part aux missions en distribuant des aliments et des produits hygiéniques. Il les assiste également sur le plan administratif avec l’Aide Médicale d’État (AME) et la domiciliation.

Grâce aux interventions et aux journées d’informations, Simon tisse des liens avec les migrants, mais il est souvent compliqué d’avoir une vraie relation à cause de la barrière de la langue. « Par exemple, l’association paie 20 000 € par an pour avoir un traducteur via une application », me dit-il.

Les migrants survivent. Ils ont du mal à s’intégrer à cause de la langue et de la méfiance qu’ils ont à l’égard des personnes dans leur pays d’accueil. La majorité d’entre eux ont tout laissé derrière eux pour venir en Europe, et ont vécu des expériences traumatisantes pendant leur traversée. En conséquence, les associations doublent d’efforts pour les intégrer, parce qu’elles représentent leurs intérêts. « L’État leur donne très peu de droits et de devoirs », exprime-t-il avec peine.


Point essentiel

À noter qu’il existe plusieurs types de migrants quittant leur ville et/ou pays d’origine pour diverses raisons. Dans le cas de Hind, c’était pour une vie plus décente. De surcroît, j’ai employé les termes de « migrants clandestins », car elle et sa famille ont été contraintes d’être dans l’illégalité pour avoir une chance d’intégrer le sol européen. Cette irrégularité n’a été que de courte durée, étant donné que les protagonistes obtiennent l’asile et autres droits leur permettant de rester légalement en Europe.

Je vous laisse consulter les sites ci-dessous pour comprendre les différents profils de migrants et d’immigrés :


Je vous invite également à regarder la vidéo de la chaîne Le Monde sur le sujet, c’est grâce à celle-ci que j’ai découvert ce qu’il se passait à des milliers de kilomètres de chez moi :

Vidéo disponible sur YouTube, ne vous souciez pas du message ci-dessus si vous êtes majeurs, il suffit de cliquer sur « Regarder sur YouTube ».

Je tiens à remercier Vincent Latour et Simon pour leurs témoignages, et en particulier Hind pour son histoire. Cette jeune femme brillante et courageuse m’a (profondément) touché, et je ne manquerai pas de lui rendre visite en Belgique.