En 2018, une étude Ipsos révélait que la plateforme la plus couramment utilisée pour le cyber harcèlement était les réseaux sociaux et que les mesures prises étaient insuffisantes… Deux ans plus tard, où en est la lutte contre le cyber harcèlement ? Jeudi 27 février, après une table ronde sur le métier d’influenceur.euse, un échange autour des menaces sur les réseaux a eu lieu lors des Rencontres Infocom de Toulouse.
Animée par Déborah Gay, enseignante à l’université Jean Jaurès, cette discussion était basée sur les récits d’expérience du couple d’influenceurs Lilo et Chloé, connue sous le nom de Pure Human Soul, et de l’enseignante chercheuse en informatique et en détection automatique des messages Véronique Moriceau.
Le cyber-harcèlement, c’est quoi ?
Le cyber harcèlement, à l’instar du harcèlement « traditionnel » est caractérisé par l’intention de nuire et la répétition d’une action. Contrairement au harcèlement dans la vie, le cyber harcèlement se passe sur Internet et les réseaux sociaux numériques. Pour l’éducation nationale, il se défini comme « un acte agressif, intentionnel perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de formes de communication électroniques, de façon répétée à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule ». La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) considère le cyber harcèlement comme « le fait de recevoir des messages répétés dont le contenu est teinté de menaces, d’insultes ou de chantage. ».
Ces attaques peuvent prendre la forme d’insultes, de rumeurs, de piratages et usurpation d’identité ou encore de publication de photos sans l’accord des personnes prises.
Qui sont les principales victimes ?
Parmi les victimes de cyber harcèlement, les femmes. D’après une étude d’Amnesty International parue en 2018, aux Royaume-Unis, près d’une femme sur cinq a déjà subi du harcèlement en ligne. Par ailleurs, selon un rapport publié par le Lobby Européen des Femmes en 2017, les femmes seraient 27 fois plus susceptibles d’être harcelées en ligne que les hommes. Ces réflexions sont d’autant plus vérifiées lorsque les personnes sont médiatisées ou expriment leur opinion. Chloé fait quotidiennement l’objet de commentaires haineux, comme « je vais venir devant chez toi, je vais te casser la gueule ». Un rapport du haut conseil à l’égalité datant de 2017 révèle ainsi que 41% des femmes entre 15 et 29 ans s’autocensurent en ligne par crainte d’être victimes de harcèlement en ligne.
D’autres personnes sont également la cible de ce type de harcèlement. En effet, tout individu jugé « hors normes » va être sujet à des moqueries et autres attaques. Parmi ces victimes, on retrouve les membres de la communauté LGBTQI+, les personnes racisées, les journalistes et politiques ou encore les personnes ne correspondant pas aux normes esthétiques de l’époque.
Quelles solutions sont mises en place ?
Le cyber harcèlement est puni, que les échanges soient publics ou privés. Cependant, réussir à prouver qu’on en est victime est moins aisé puisqu’il faut réussir à mettre en évidence la récurrence des propos et leur caractère insultant ou menaçant.
De plus, engager des poursuites peut s’avérer vite chronophage. En effet, même si le personnel de police ne peut refuser de prendre une plainte, tous les membres des forces de l’ordre ne sont pas au fait des lois et réglementation encadrant le harcèlement en ligne. « Je suis allée jusqu’à entamer des poursuites judiciaires sauf que le problème c’est que pénalement et au niveau de la police, c’est très très compliqué. C’est-à-dire que, moi, le poste de police où je suis allée, ils m’ont dit que le harcèlement en ligne n’était pas pris en compte, qu’ils devaient le faire passer comme du harcèlement téléphonique pour que ça puisse aboutir à quelque chose en justice. Et d’autant plus que, vu que j’avais tous les screens de tous les faux comptes etc., ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas considérer ça comme du harcèlement car les messages venaient de plusieurs comptes différents et non identifiables. » témoigne Chloé.
Du côté de la recherche, des travaux sont menés sur l’automatisation de la détection des messages de haine. Avec 3 autres chercheuses, Véronique Moriceau a créé un corpus d’un peu plus de 100 000 messages traitant sexistes. Pour qu’une machine détecte les messages haineux, il faut lui apprendre grâce au deep learning en compilant des milliers d’exemples similaires. Après 2 ans de travaux, le système développé par Véronique est fiable à 75%, ce qui est encore trop faible pour pouvoir l’appliquer sans modération manuelle en parallèle.
Si la liberté d’expression sur les réseaux sociaux permet la libération des paroles, on peut se demander jusqu’où celle-ci peut s’étendre. En effet, rien ne régit actuellement les modérations sur les plateformes numériques internationales telles que Twitter, Facebook ou Instagram puisque chaque pays possède ses propres lois. La commission européenne recommande cependant fortement aux plateformes de « modérer les messages de haine et de discrimination ».
Des avancées ont été faites, avec la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ou la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet de mars 2019, mais les injustices sont encore bien présentes.
Faut-il remettre en question le pseudonymat, voire l’anonymat, en ligne pour freiner les harceleurs ou porter nos espoirs vers l’éducation et la sensibilisation ? Comme le dit Chloé, « si tu ne le dirais pas en face à la personne, pourquoi tu vas le dire sur les réseaux sociaux ? ».
Vous êtes victimes de cyber harcèlement ? Le collectif Féministes contre le cyber harcèlement a compilé sur son site les textes de lois couvrant le harcèlement en ligne. Vous pouvez également contacter la brigade numérique pour poser vos questions et préparer votre dépôt de plainte.