Même en cette période d’activité contrariée, les mouvements et syndicats étudiants continuent de s’organiser durablement sur le campus de l’université Jean Jaurès. Un engagement qui s’est confirmé cette semaine, où plusieurs actions ont eu lieu dans le cadre des élections des représentants pour les conseils centraux.
Dans un contexte où la condition étudiante s’est dégradée de manière inédite, la mobilisation était cette année plus que jamais nécessaire. Seul problème : certaines installations visant à capter le public pour la distribution de tracts (barrières, stands, points d’informations) contraignaient le déplacement des flux à l’entrée du site et le respect des gestes barrières. Une indisposition qui ne semblait gêner ni les mouvements étudiants ni l’administration de l’université. L’occasion d’un échange sur place avec quelques étudiants engagés, pour questionner les motivations et les moyens déployés.
Le lieu de toutes les mobilisations
La coercition n’est pas une nouveauté à l’université Jean Jaurès. Pour un établissement dont les mouvements sociaux successifs occupent tout un article Wikipédia, les actions militantes visant à astreindre sont une réalité pour quiconque ayant fait ses études sur place. Une condition qui ne choque plus beaucoup, voire amuse tant elle paraît quasiment systématique.
Qu’elle soit physique ou symbolique, bienveillante ou agressive, volontaire ou non, la contrainte par les militants ou les associations s’est toujours exercée sur ce campus. Toujours pour de bonnes raisons, nous dira-t-on et il n’y a pas de raisons d’en douter, surtout en ce début de décennie où l’avenir de la jeunesse est sérieusement compromis.
Ainsi, quand plusieurs mouvements, allant de représentants officiels tels que Étudiant.e.s Progressistes, Le Poing Levé, l’UNEF ou d’autres plus spontanés, s’installent sur les lieux pour préparer les élections et interpeller les passants, ils se fondent aisément dans l’imaginaire d’une université progressiste et agitée. Une normalité en soi.
Une technique éprouvée mais inadaptée
L’objet du désaccord – si désaccord il y a – se joue ailleurs. Les barrières métalliques posées devant l’arche, principal point d’accès du site, sont agencées de manière à favoriser, si ce n’est forcer l’emprunt d’un même passage pour distribuer le plus de tracts.. La présence de la communauté a beau être moindre en ces sombres heures de cours à distance, les flux demeurent importants, surtout pendant les heures d’affluence. Entre le personnel de l’université, les étudiant.e.s et non-étudiant.e.s venu.e.s se poser dans les bibliothèques des UFR, les rares chanceux ayant cours sur place et les habitant.e.s du quartier, l’université reste un lieu de passage quotidien.
En temps normal, la démarche ne gênerait pas ou peu. En temps covidé, les personnes doivent désormais se croiser pour accéder au site, quand elles ne s’arrêtent pas pour prendre part à une discussion spontanée et engagée. Les escaliers restent toujours accessibles, ainsi que la piste rampée praticable pour les personnes en mobilité réduite. Mais l’espace est considérablement réduit. « Sinon, vous pouvez passer par là » nous répond-t-on en indiquant la descente qui mène au parking, obligeant au détour. A l’heure où nos déplacements et nos libertés sont déjà extrêmement muselés, la restriction passe mal.
Au-delà de la simple occupation
Interrogés sur cette installation, les membres d’Étudiant.e.s Progressistes, mouvement écologiste et socialiste à tendance marxiste, maintiennent fermement la défense de leur action dans un premier temps, avant d’adopter un discours plus conciliant. Ils reconnaissent les limites qu’imposent leur présence et leur technique d’approche, qui n’a d’ailleurs pas été empêchée par l’administration. Bien loin d’être radicale (elle limite plus qu’elle ne bloque), l’occupation se rajoute pourtant à d’autres mesures actuelles déjà bien lourdes. « Nous respectons les gestes barrières » nous assure cependant un membre de Étudiant.e.s Progressistes, son masque toutefois baissé.
La démarche du mouvement reste louable sur un point malgré tout et il serait malhonnête de dire qu’elle sort de nulle part. Les barrières sont en effet déjà présentes en temps normal, bien qu’en moindre quantité et séparées entre elles, pour dissuader les scooters qui n’hésitent pas à franchir le campus à toute vitesse. Une pratique courante, véritable problème sur l’université qui a déjà causé de nombreux accidents. « C’est aussi une proposition de notre programme d’y remédier » précisent les membres.
Les barrières occupent donc des fonctions symboliques et pragmatiques, pour contraindre les conducteurs en manque de sensation forte. Il faut pourtant reconnaître que leur disposition exceptionnelle cette semaine laissait moins de place, tout en étant relativement moins efficace. Un comble. Durant notre échange devant l’arche, deux jeunes en scooter manquent en effet de faucher une passante qui croise l’engin sur le passage réduit. La tentative, avant tout citoyenne, est cependant bien tentée mais donne à voir ses limites en direct.
Sans chercher à culpabiliser ou à moraliser le mouvement présent devant l’université, notre rencontre a donc donné lieu à un riche débat où les idées et les moyens ont pu se confronter, se raisonner. Bien que relativement animé au départ, celui-ci a pu faire émerger un consensus dans le cadre d’une discussion banale mais argumentée : l’articulation entre les barrières et les gestes barrières, entre la libre-circulation et la liberté d’expression. Celles-ci devant être en effet toujours complémentaires, plutôt que de se faire au détriment l’une de l’autre, comme ici.